Démembrement de propriété : les limites de la théorie de la rémunération sont tracées !
Depuis de nombreuses années, l’administration fiscale lutte contre l’usage du démembrement de propriété dans le cadre de l’acquisition d’un immeuble par un dirigeant d’entreprise et sa société.
Elle a longtemps soutenu que la dépense n’était pas en adéquation avec l’objet social pour en refuser la déduction. Elle se fondait sur l’arrêt du 18 janvier 2001 de la Cour de cassation qui consacre la théorie de l’objet social. La position de l’administration apparaissait extrême notamment lorsque les statuts de la société concernée autorisaient de manière générale toute activité immobilière en vue de développer l’activité statutaire.
Cette théorie a été vivement contestée par la doctrine étant donné qu’elle ajoutait une condition à la loi en exigeant un lien nécessaire entre la dépense et l’objet social de la société.
Dans son arrêt du 13 novembre 2014, la Cour de cassation a confirmé que les frais liés à la mise à disposition d’un bien immobilier au dirigeant d’entreprise sont des frais professionnels déductibles, car ils permettent le paiement d’une rémunération en nature au dirigeant. Cet arrêt consacre la théorie de la rémunération. La loi prévoit que les rémunérations versées à un dirigeant d’entreprise constituent des frais professionnels déductibles. Les rémunérations comprennent toute les rétributions alloués ou attribuées à un dirigeant d’entreprise et notamment les avantages de toute nature obtenus en raison ou à l’occasion de l’exercice de l’activité professionnelle. Cependant, pour appliquer cette théorie, la jurisprudence a rappelé que la déduction de la rémunération était subordonnée à la production d’une fiche et du relevé ad hoc. Il convenait d’être cohérent. La théorie de la rémunération constituait dès lors une réponse à la théorie de l’objet social bien qu’une partie de la jurisprudence restait « hostile » à son application.
En 2015, la Cour de cassation a rendu cinq arrêts dans lesquels elle revient sur sa position de janvier 2001. Elle considère désormais, à juste titre, que l’article 49 du CIR92 n’exige pas que les dépenses professionnelles d’une société soient subordonnées à la condition qu’elles soient inhérentes à son activité sociale telle qu’elle résulte de son activité statutaire.
Ce volte-face de la Cour de cassation n’a pas été bien accueilli par l’administration fiscale. Celle-ci a dès lors soutenu que la rémunération attribuée en nature par la société devait constituer la contrepartie d’une prestation réelle, à défaut elle ne serait pas déductible. La question qui se posait était donc de savoir si, en ce qui concerne les frais relatifs à l’attribution d’avantages à un dirigeant d’entreprise, il existerait une déduction « automatique » dans le chef de la société.
Dans ses arrêts du 14 octobre 2016, la Cour de cassation fixe de nouvelles limites à la théorie de la rémunération. La première affaire concernait une société ayant acquis l’usufruit d’une résidence de weekend à la côte, qu’elle avait ensuite mise à la disposition de son gérant. Selon la Cour de cassation, la déduction des frais et amortissements en rapport avec cet investissement doit être rejetée au motif que les rémunérations ne constituent des frais professionnels déductibles que « pour autant qu’elles correspondent à des prestations réelles », or la société n’a pas apporté cette preuve. La seconde affaire concernait une société ayant acquis l’usufruit et ses gérants la nue-propriété d’un immeuble. La société utilisait elle-même le bâtiment à concurrence de 20 %, le reste du bâtiment étant gratuitement mis à disposition des gérants en tant qu’habitation privée. Selon l’administration, les frais afférents à ces 80 % ne répondaient pas aux conditions de déduction. Pour la Cour de cassation, il résulte des dispositions légales applicables en l’espèce que « les frais engagés par une société en vue d’allouer ou d’attribuer un avantage de toute nature à ses dirigeants à titre de rémunération pour l’exercice de leur activité professionnelle au sein de la société constituent des frais professionnels déductibles. Mais, il est requis, à cet effet, que les avantages attribués correspondent à des prestations effectivement fournies au profit de la société ». En l’espèce, il n’était pas démontré que les frais se rapportaient à la rémunération de prestations réellement fournies par les gérants pour la société. En outre, la Cour énonce que la mention d’un avantage de toute nature sur une fiche de revenus ne constituait pas une preuve suffisante. Dès lors, le droit à la déduction a été rejeté.
Ces deux arrêts confirment la position jurisprudentielle déjà prise antérieurement par la Cour de cassation en indiquant que les frais doivent correspondre à des prestations réelles ou que les avantages attribués doivent correspondre à des prestations effectivement fournies au profit de la société. La société ne peut donc plus se contenter de démontrer que l’avantage a été mentionné sur une fiche de revenus et que le bénéficiaire a été effectivement imposé sur cet avantage.
En d’autres termes, la « théorie de la rémunération » ne peut fonctionner que pour autant que la société établisse que la mise à disposition de l’immeuble constitue un élément de la rémunération du dirigeant d’entreprise pour les prestations qu’il réalise pour la société.